00 - Prologue

Je vais vous parler d'Islande, de lenteur, de liberté, de voyage...

(Départ : J - 3 semaines)

En 2019, nous traversions l'Islande du sud au nord à vélo

En pédalant, poussé par le vent ou empêché par lui, nous avons humé ce pays désertique et fumant, fine croûte de cendre et de glace posée sur une déchirure de la terre, d'où s'échappent geysers soufrés et parfois magmas bouillonnants.

Le pays est grand et nous n'avions que 3 semaines. Le voyage fut beau, l'expérience exaltante, mais  nous sentions que l'île de glace avait encore beaucoup de choses à nous dire.

Sur le tarmac de l'aéroport de Keflavik, au moment de revenir en France, nous nous promettions : « On reviendra. Mais cette fois, on prendra notre temps. Et pas l'avion »

Printemps 2022. 

Sa majesté Covid XIX bat en retraite (un peu...), je suis depuis quelques mois à la retraite et Béatrice en congés pour un an. Coté santé, disons que les voyants sont revenus au vert (j'y reviendrai...). 

Donc, les planètes sont alignées : il faut partir, c'est le moment. Les autres projets attendront.

Depuis toujours, nous aimons voyager à vélo. Mais les obligations familiales ou le format imposé des congés d'été nous obligeaient à emprunter des transports rapides pour nous rendre sur place. Peut-on se prétendre adeptes du voyage lent quand on commence et finit par 2 500 kilomètres avalés en 3h d'avion ?

Désormais, nous nous efforcerons de diluer nos voyages dans le temps et dans l'espace.

Cette fois, il est question de partir à vélo de chez nous et de remonter l'Europe du nord jusqu'à la pointe du Danemark. De là une traversée de 2 jours en bateau nous mènera directement au fond d'un fjord, à l'est de l'île. 

Durée prévue : 5 mois, pour 6000 kilomètres. Si vous calculez bien, cela fait environ 45 kilomètres par jour. Rien d'insurmontable... et de quoi faire des pauses ou des digressions au gré des aléas, des rencontres et de l'humeur !

Un voyage moins intense, mais qu'on espère d'autant plus savoureux...

Nous étalons le temps et agrandissons l'espace, mais le tic de l'horloge sera toujours le même : le mouvement métronomique de nos jambes sur les pédales. Tel sera le rythme de nos journées, tandis que nos pensées, au ralenti elles aussi, divagueront dans une bulle de présent ou de futur immédiat : où dort-on ce soir ? jusqu'où allons-nous demain ?

Dans le voyage lent, il y a beaucoup de présent et peu d'avenir : terrain favorable à l'evasion, à la méditation et au bonheur...

Autre chose aussi : A l'opposé du tourisme, le voyage lent favorise les rencontres et les échanges : « réapprendre à dire oui à l'autre » dit en substance Vincent Berthelot, dans Le Facteur Humain. Alors la peur de l'autre se fait plus petite. Et quand la peur recule, la violence et la guerre aussi.

Voyager à vélo est un geste de paix.

L'escargot ne recule jamais

Albert Einstein nous a appris que le temps et l'espace sont relatifs, qu'ils sont une seule et même entité, que plus on voyage vite plus le temps relatif s'écoule lentement : le temps et l'espace seraient des « vases communicants » ?

Je préfère citer Claude Marthaler : « Plus on voyage lentement, plus la terre s'agrandit »

Et aussi Sylvain Tesson : « L’homme libre possède le temps. L’homme qui maîtrise l’espace est simplement puissant ».

Et celle-là aussi : « Ceux qui pensent que l'escargot n'avance pas vite, c'est qu'ils n'ont jamais été escargot » (Guillevic)

Et puisqu'on parle d'escargot : « L'escargot ne recule jamais » (A.Vialatte)

Einstein a sans doute raison, mais autant le dire avec poésie...

Le mot voyage inclut l'idée d'un déplacement physique, mais aussi mental : changer de point de vue, sortir de sa zone de confort en sont des ingrédients. Un voyage est aussi un pèlerinage, où le chemin  compte autant - sinon plus - que la destination.

Au sens où nous l'entendons, « voyage lent » est donc un pléonasme. C'est l'antithèse du tourisme, qui consiste à aller vite d'un endroit à l'autre, à le visiter et à revenir aussi vite : « on a fait la Grèce », « on a fait le Maroc ». Non messieurs-dames, vous n'avez rien fait ! Vous avez juste consommé en vitesse un décor de plus en plus souvent aménagé exprès pour vous. Et au passage, éventuellement, vous avez éclaboussé les gens de votre arrogance. La terre ne devrait pas devenir un parc d'attraction. Mais je m'égare...

Un voyage est un cadeau que l'on se fait : du temps à soi, rien que pour soi. Un moment égoïste, hors du temps. Peu importent la destination et la durée. La liberté de s'arrêter de repartir, de revenir, de ne pas prendre le chemin le plus court, de ne rien faire. Fuir - physiquement et mentalement - nos routines, ou du moins les remplacer par d'autres routines, choisies celles-là. Vivre...

« Je n'ai pas le temps » : Quelle expression bizarre... Le temps est la chose la plus égalitaire qui soit. A moins d'être un astronaute voyageant à la vitesse de la lumière, chaque seconde a pour chaque humain partout sur terre la même durée. Mais peut-être pas la même valeur ? ça se discute.... (Vous avez 4 heures !)

Chroniques de deux cyclistes allongés, motivés et pas pressés,
Porteurs de vos courriers, 
en chemin vers la terre glacée.

Chroniques ? parce que cette histoire s'écrit en même temps qu'elle se vit : au fil du temps, des rencontres et des imprévus.

Cyclistes allongés ? Parce que nous pédalons en position quasi horizontale, jambes en avant, le regard porté naturellement vers le haut, confortablement posés sur nos vélos horizontaux. Vous les connaissez déjà si vous avez suivi le blog « Les pieds devant » (sinon, il n'est pas trop tard : le lien fonctionne toujours...)

Porteurs de vos courriers ? Parce que notre ami Vincent a décidé de partager son expérience : il a fait de nous des « facteurs humains ». Au long de notre route, nous allons porter des courriers importants mais pas urgents que j'ai collecté lors d'un petit voyage en Bretagne il y a quelques semaines. 

Et puis dans horizontal il y a horizon.

Et qu'est-ce qu'un voyage,
sinon aller voir ce qu'il y a derrière l'horizon ?



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