08 - Le temps c'est cool


Pédaler vers le nord
Au soleil éclatant
Seules les jambes à l'effort
Sur le dos allongés
Nous avons tout le temps
Et l'esprit reposé


Temps libre ?

Cette fois ça y est. 

Nous entrons complètement dans notre routine de voyage : pédaler, regarder, rencontrer, faire les courses pour la journée, s'arrêter pour manger, faire la sieste, pédaler, à l'heure du goûter chercher l'endroit où on s'arrêtera le soir, et pédaler encore un peu. Et le soir : montage de la tente, popote, douche (si on est dans un camping) et au dodo.

Nous avons du temps plein nos sacoches, et pourtant le lâcher prise n'est pas total : il reste la petite contrainte du 14 juin, date à laquelle nous prenons le bateau. J'ai calculé large, mais on ne sait jamais (tiens ? revoilà le petit diable...).

Ma feuille de route me dit pourtant que nous avons de l'avance.

Il n'est pas si facile de se sortir la tête des agendas lorsqu'on y a été conditionné toute sa vie. Mais on progresse.

Vous endormez pas !

Sur les routes, nos engins bizarres attirent les regards et délient les langues. On ne compte plus les " Vous endormez pas, hein ! ", " Ouah trop stylé vot' vélo, m'sieur ", " eh m'sieur comment vous faites pour descendre ? " (Ben, comme ça... Et je lui montre).

- Vous allez en Islande ? A vélo ? Sérieux ? Eh bê, vous en avez du courage !
- Nous n'avons pas besoin de courage puisqu'on l'a choisi. Juste de la motivation.
- Vous êtes drôlement chargés !
- C'est notre maison pour 5 mois.
- ...

En Belgique et en Hollande, c'est la même chose. Étonnant. Je m'imaginais qu'on passerait inaperçu dans ces pays où l'on nait avec un vélo entre les jambes.

A chaque arrêt nous racontons notre histoire. Nous sourions modestement devant les mines ébahies de nos interlocuteurs. Parfois on lit de l'envie dans les regards. Il y a bien des banalités à dire dans ces cas-là (faut vivre ses rêves, etc.) mais je n'ose pas. Je ne connais pas leur vie, et je n'ai pas de leçons à donner.

Une fois, en attendant Béatrice, un homme m'aborde. Je raconte notre histoire. Il me répond : " viens chez moi au Maroc, je t'invite dans ma famille, c'est très beau, on mange bien... Quoi ? Tu voyages pendant  5 mois ? Tu es béni des dieux ! ". Pas d'envie, pas de jalousie. C'était spontané, c'était beau. Et sa conclusion est si vraie...

Être heureux, c'est un cadeau qu'on se fait, et qu'on fait aussi aux autres. 

L'homme du Picardie

Nous venons de quitter la région parisienne et abordons la Picardie. Avant Compiègne, nous rejoignons la Trans'Oise, une vélo route à la française, c'est à dire fléchée de temps en temps, discontinue... On la perd, on la retrouve... C'est un jeu de piste.

Après Compiègne, le chemin de halage n'est pas débroussaillé. Une heure à pousser les vélos dans les ronces et les orties pour 600 mètres parcourus. C'est d'ailleurs ce qui me vaudra la crevaison  dont j'ai déjà parlé. 

Nous quittons la Trans'Oise. Bien obligés, elle a disparu. 

Nous voilà maintenant face aux collines de Picardie. C'est la Beauce et le Perche réunis : grandes cultures et reliefs arrondis, avec moins de haies. En haut des côtes, le vent nous cueille. C'est une petite bise de nord-est, fort désagréable quand le soleil est derrière un nuage.

Changement de décor. Nous rejoignons le réseau fluvial du nord : canal latéral de l'Oise ou de la Somme, canal Seine-Nord... Je m'y perds. En tout cas c'est plat et c'est bien agréable. Les kilomètres défilent malgré le vent.

Nous croisons et accompagnons plusieurs péniches bien chargées. Des modèles traditionnels " 500 tonnes ". C'est calme et comme hors du temps. Nous voyageons paisiblement le long d'un passé qui survit. Cela me rappelle le feuilleton " L'homme du Picardie ", A l'époque la télé était en noir et blanc et on ne disait pas " première chaîne ", vu qu'il n'y en avait qu'une...

Camping Paradis

Nous approchons d'Arras et pas de camping en vue. Pas non plus envie d'aller à l'hôtel. Alors on fait le plein d'eau dans un cimetière, et on scrute la campagne en vue d'un bivouac.

Et à la sortie d'un village, petit miracle : un joli champ arboré, tout plat, à l'abri des regards, fraîchement fauché. Parfait ! Pas d'hésitation. C'est là !

On va tout au fond pour s'éloigner de la route et on attend la tombée de la nuit pour monter la tente. De toute façon il n'y a personne dehors. On est dimanche soir et c'est l'heure des infos.

Cric Cric, flou flou flou... Cric Cric, flou flou flou... Un faisan nous tient compagnie. Il fait sa vie sans se soucier de ces intrus sur son territoire...

C'est arrivé une autre fois en Belgique : C'est le soir. Le camping repéré dans l'après-midi n'existe pas, et pas d'hôtel à proximité...

2 km après , un petit un village, une aire de camping-car bordée par une haie, derrière la haie un petit parc avec une aire de jeu... Ç'est parfait !

Le lendemain, des enfants passent tandis que nous faisons notre petit boui-boui du matin. Sans le savoir, on s'est mis sur le chemin de l'école. Un petit coucou et ils continuent leur chemin. Ils ne font pas plus attention à nous que le faisan de l'autre soir.

La vie est belle dans notre monde parallèle...

Mémoires de poilus

Nous voilà à nouveau parmi les creux et les bosses. Mais cette fois ce sont les trous de bombes des anciens champs de bataille de la grande guerre. A Arras nous visitons la carrière Wellington : pendant la bataille de la Somme, le plan était de passer par dessous la ligne de front, par d'anciennes carrières souterraines, pour prendre l'ennemi à revers. Un chantier énorme, un engagement total, des semaines d'effort, des centaines de morts. Résultat : les lignes n'ont pas bougé.

La visite de la carrière, très bien conçue, alterne explications et documents d'époque. Cette ambiance stimule l'imagination et fait réfléchir aussi. Pourquoi des hommes - anglais et néo-zélandais en l'occurrence - acceptent d'aller à la mort pour une cause qui n'est pas la leur ?

Sortie du tunnel derrière les lignes allemandes

Au premier plan : les fiers officiers. Derrière : la chair à canon.

Chère maman, j'espère que tu es en bonne santé. 
Très bientôt je monte au front.

Bien sûr, il y a la manipulation des esprits, mais cela ne devrait pas suffire. Le philosophe Alain (c'est pas moi) donne une réponse plus profonde, qui interroge : Agir rend heureux. Et les soldats s'ennuient, la plupart du temps... Et les dictateurs, aussi.

Un peu avant Lens, c'est la crête de Vimy, autre épisode de la bataille de la Somme. Cette fois le sacrifice est canadien. Le mémorial appartient désormais au peuple canadien. Des touristes en autocar viennent visiter une bien pâle reconstitution des tranchées. C'est trop propre. Ça ne dit rien.

Colline de Vimy - monument aux soldats canadiens morts pour la France

La Deûle à Lille et la Lys ensuite

Par le canal de la Deûle nous abordons l'interminable métropole Lilloise. J'y suis souvent venu pour le travail et j'ai fini par aimer cette ville. Elle a des allures d'ancienne capitale, avec ses vieux et opulents bâtiments, ses nombreuses friches industrielles réhabilitées, et aussi ses quartiers colorés. 

Après avoir déposé chez Zaï un courrier en provenance du Morbihan, nous retournons flâner un peu dans le centre-ville, avant de rejoindre Marcq-en-Barœul où nous sommes attendus chez Gaëtan et Valérie. Les passants nous abordent, nombreux, toujours intrigués par ces deux extra-terrestres...

L'itinéraire vers Marcq-en-Barœul suit la ligne du " Mongy ", vieux tramway de l'axe Lille-Roubaix-Tourcoing, toujours en service.

Le lendemain, Passage à Lys-les-Lannoy chez Thaïs, à qui nous remettons un autre courrier venu de Bretagne (je vous parlerai une autre fois de notre nouveau métier de facteur...)

Nous reprenons la route et soudain nous voilà en Belgique. Pas de frontière. On s'aperçoit du changement de pays à la configuration des pistes cyclables et au comportement des conducteurs...

Nous traversons la Belgique pour ainsi dire d'un seul trait. Le passage en Hollande est aussi invisible que de la France à la Belgique. Et les aménagements pour les cyclistes sont encore meilleurs...


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Commentaires

  1. Toujours aussi impatiente de te lire Alain. Nous sommes dans l'ouest et pensons bien à vous et il y a un an. Bisous à vous 2

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  2. Joli résumé, culturel, physique , joyeux vous êtes heureux nous aussi de vous lire , belle route hollandaise.
    Des bises . Sylvie et Gérard

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  3. Bonjour Muriel... Je t'ai reconnue ! A Arras j'ai perdu ma mini-Béatrice. C'est pour ça qu'il n'y a que le casque. Mais c'est bon j'en ai retrouvée une en Belgique ! Merci de ne pas sortir ces paroles de leur contexte, et de n'y voir aucun présage ! hi ! hi !

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